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« Les Grandes Patries étranges », de Guillaume Sire, Calmann-Lévy, 352 p., 21,90 €, numérique 15 €.
Sélectionné pour le Prix littéraire « Le Monde » 2024
Guillaume Sire a le goût des romans épiques et des personnages courageux, débordants de panache. Tels semblent les points communs de livres aussi différents qu’Avant la longue flamme (Calmann-Lévy, 2020), qui plongeait un jeune garçon à l’imagination fertile dans l’horreur de la guerre civile cambodgienne, Les Contreforts (Calmann-Lévy, 2022), où une famille combattait avec des armes dérisoires pour conserver son château fort, et, aujourd’hui, Les Grandes Patries étranges.
C’est une traversée de la première moitié du XXe siècle dans les pas de Joseph Portedor, dont le nom est à lui seul promesse d’aventures. Enfant, ce Toulousain s’est donné pour mission de « sauver » Anima Halbron, la petite fille de l’étage du dessous, dont il est tombé amoureux au premier regard. Les deux voisins ont en partage un deuil fondateur : celui du père, tué pendant la première guerre mondiale, pour Joseph, et celui de son frère aîné, mort d’une fièvre infantile, pour Anima.
Hors leur compagnonnage avec des fantômes, ils ne sauraient présenter des personnalités plus distinctes. Joseph est doté d’une hypersensibilité parfois encombrante ; son toucher, son odorat, son goût, son ouïe et sa vue sont extrêmement développés et le saturent en permanence d’informations sur son environnement. Anima s’est fabriqué une carapace de froideur, le piano est son unique objet d’intérêt, et son mépris (ambivalent, tout de même) pour les grands sentiments va jusqu’à baptiser « Lamour » un cochon qu’elle a sauvé des abattoirs et caché.
Anima est juive, et c’est en particulier du péril antisémite que Joseph voudrait la préserver, lui qui, après le déménagement de la jeune fille pour Paris, où elle deviendra concertiste, verra dans chaque « Mort aux juifs » tracé sur les murs le signe qu’elle est en détresse et a besoin de lui. Sa conviction qu’il doit la défendre, forgée dans sa lecture des romans de cape et d’épée, emmènera le chevaleresque héros jusqu’à Coblence, en Allemagne, en pleine seconde guerre mondiale.
Des années 1920 aux lendemains de la Libération, les personnages des Grandes Patries étranges (le titre est emprunté au poète et philosophe Benjamin Fondane, 1898-1944) évoluent dans un monde en proie au chaos. « Tout est bien. Il n’y a rien à comprendre », répète d’un bout à l’autre du livre Thèrèse, sa mère, à Joseph, qui ne veut se résoudre à l’accepter. Il s’échine à appréhender les événements et les êtres à l’aide de son hypersensibilité, qui semble autant une infirmité – tout le blesse – qu’un superpouvoir – il peut dire si une femme est enceinte en lui touchant simplement la main.
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